mardi 18 septembre 2007

Un été à Sacramento (Raymond Carver)



On dit de Carver qu'il a réinventé l'art de la nouvelle (j'ai toujours aimé ce genre littéraire) et qu'il a dressé une nouvelle cartographie émotionnelle de l'Amérique. Il a vécu dans la misère et la pauvreté; écrit entre deux cuites et deux déménagements. Ses personnages sont ordinaires, sans passé, ni avenir.
Voici un court poême qui décrit bien l'ambiance général de son oeuvre.


UN ÉTÉ À SACRAMENTO

nous sommes branchés voiture ces jours-ci
ma femme a des vues
sur une Pontiac Catalina cabriolet de 1972
avec sièges baquet direction assistée et tout
mais quant à moi je guigne une petite Oldsmobile
Cutlass rouge et blanche de 1971 pneus bicolores
climatisée pas trop de km au compteur
et qui coûte 500 dollars de moins

pourtant j'aime les décapotables moi aussi
nous n'avons encore jamais eu une bagnole vraiment chouette

nous avons payé presque toutes nos factures
& il nous reste largement de quoi nous offrir une voiture
pourtant
2000 dollars ça fait un beau paquet
il y a un an si on avait eu une somme pareille devant nous
on se serait barrés au Mexique aussi sec
le loyer tombe jeudi prochain
on le réglera rubis sur l'ongle
ah nom de dieu ça fait du bien
de pouvoir affronter ses responsabilités

le 25 mai pour mon anniversaire
on a claqué plus de 60 dollars dans la soirée
restaurant avec vin et cocktails
plus la séance de cinéma
pendant le dîner on n'a rien trouvé à se dire
mais on a échangé des tas de
sourires

ces temps-ci nous allons beaucoup au cinéma

vendredi soir
j'ai rendez-vous avec une fille
que je vois de loin en loin depuis Noel
rien de bien sérieux
de mon côté
mais on s'envoie en l'air comme des dieux
& je suis flatté
des petites attentions qu'elle a pour moi
& flatté aussi
qu'elle soit toute disposée à m'épouser
dès que j'aurai été à Réno divorcer

il faudra que j'y songe en effet
il y a quelques jours
une jolie femme que je n'avais encore jamais vue
qui disait s'appeler Sue Thompson
et être ma voisine
est venue frapper à ma porte pour m'annoncer
qu'on avait vu le gamin de quinze ans
à qui elle sert de mère d'accueil
soulever la jupe de ma fille de sept ans

le juge pour enfants qui le suit
aimerait poser quelques questions à ma fille

hier soir on était au cinéma une fois de plus
dans le hall un homme d'un certain âge m'a posé
la main sur l'épaule en disant :
eh, Fred, où tu vas comme ça?
j'ai répondu, mon vieux,
vous vous gourez de mec

ce matin au réveil
je sentais encore sa main là

presque

Raymond Carver / N'en faites pas une histoire

9 commentaires:

Karla a dit…

ok...

Disont qu'il est passé maitre de sauter du coq a l'ane aussi!

Mais il ne me fait pas voyager de dedans ma tete encore...

Ce Bref Réveil a dit…

Je l'imagine un peu bourré assis au bar me racontant toutes ses anecdotes, moi qui ne le connais pas. Je suis aussi bourré que lui et j'essaye de le suivre, mais je suis toujours un thème en retard et les images s'entremêlent dans mon esprit.

Je crois qu'il faut déjà avoir bu pour apprécier Carver pleinement. D'ailleurs, j'ai un peu soif en ce moment...

Renart Léveillé a dit…

Moi ce que je remarque, c'est aussi la confusion des genres. C'est comme un poème qui n'en est pas tout à fait un, des tranches de vie disparates.

Ça me fait penser un minimum à Bukowski.

Rosie a dit…

Je trouve ce poème décousu, pas vraiment mon genre, mais que toi tu l'aimes, je respecte cela.

Il saute d'un sujet à un autre, il a sûrement des adeptes de ce genre d'écrits.

L'on ne peut pas tout aimer et cela prend de tout pour faire un monde.

Bisous et @ plus xoxo

La p'tite semaine a dit…

La prose de Carver est simple et direct. Il n'utilise pas de grands mots mais a toujours le mot juste. Dans ces nouvelles il y a comme une attente envoutante qui nous tient en haleine tout au long. Il décrit la condition humaine tel qu'il l'a voit. Le monde est plein d'histoires de ce genre et tous tentent d'échapper à leur détresse. Je ne connais pas Bukowski mais j'irai le lire. D'après sa biographie il a l'air d'être beaucoup plus extrémiste que Carver. (Genre Kirouac) et lui j'ai de la difficulté à embarquer.
Mais, je vais aller voir à la biblio ce qu'ils ont sur Bukowski.

Renart Léveillé a dit…

Oui, Bukowski est assez « hardcore ». Mais c'est très près de la banalité de la vie, même si sa vie n'était pas banale.

Tu as vu le film « Barfly » (avec Mickey Rourke et Mia Farrow), c'est un scénario de lui et il s'inspire de sa vie. Ça serait une bonne introduction à son univers si tu ne l'as pas déjà vu.

Rosie a dit…

Juste un p'tit bonjour en passant.

Belle journée à toi et bisous xoxox

Anonyme a dit…

Je ne suis pas sûre d'accrocher.... :-S

Mais merci de nous l'avoir fait connaitre! :-)

La p'tite semaine a dit…

Il gagne à être connu p'tit rien mais comme on dit: tous les goûts sont dans la nature:)